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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 15:25

2/5 - Analyse physique de l'Etherciel


 

Notre première tâche sera donc de dégager des lois physiques comparables à ce que nous connaissons sur Terre, comme les principes de Newton ou la mécanique des fluides, pour expliquer le fonctionnement de ce nouveau lieu de vie, sa cohérence. L’exercice devra consister à dégager les caractéristiques physiques de la matière numérique, que l’on retrouve quelle que soit la technologie, depuis la TV jusqu’à Second Life. Essayons.

 

Deux lois fondamentales se dégagent : le mouvement, principe premier, et la copie.

 

Le mouvement, parce que toute action et même la moindre présence dans l’Etherciel se traduisent par une émission. Tout ne vit ou n’existe qu’à travers une transmission. Depuis le simple enregistrement d’un document avec mon traitement de texte jusqu’à un courriel, c’est toujours une émission, locale ou à distance, c’est-à-dire un champ dont les caractéristiques sont transformées pendant un temps donné. Tout passe, tout ne fait que passer. Verrouiller est une hérésie, verrouillé une insulte. L'étherciel n'est pas mouvant sous l'action d'une force extérieure, mais en lui-même, du seul fait qu'il existe.

Au contraire, la configuration par défaut d'un être humain sur Terre est l'immobilité. Autour de nous un espace immobile, occupé par tel ou tel objet. Se mouvoir demande un effort, parfois très léger, comme pour le simple fait de se lever, ou se gratter la tête, mais tout de même un effort (muscles). La vie dans l'air n'est pas incompatible avec le fait de ne pas bouger. Bien plus, une présence sera mieux ressentie avec un individu stable, ou se déplaçant dans un espace réduit. La pesanteur est partout. Même les plus grands coureurs finissent toujours par s'arrêter de courir, comme les avions pour ce qui est de voler. Dans l'Etherciel, pas question de rester assis comme un pêcheur au bord de l'eau à se couler dans un ruisseau de pensées. Pas question d'être simplement là un-point-c'est-tout, il faut s'attacher au mouvement permanent, ne pas perdre le fil, rester en ligne. Nous nous jetons dans un torrent impétueux et chaque clic est comme un coup de rame pour essayer d'orienter notre barque dans le courant. Plus vite ! Plus vite ! Toujours accélérer. La vitesse est la corde qui stabilise l'ensemble, les coulées sont continues, toujours plus fluides, plus agiles, plus rapides. Sur le clavier sur lequel je tape ce texte, qui compte des dizaines de touches, deux seulement, "Arrêt défil" et "Pause Attn", renferment une idée contraire au mouvement, mais leur intitulé montre bien leur caractère exceptionnel, presque anormal, elles sont à utiliser en cas de crise, toutes les autres touches lancent et relancent le défilement, notamment les flèches dans toutes les directions. L’immobilité, c’est la mort.

 

La seconde loi fondamentale est la copie, un grand principe de duplication généralisée. Tout est copié, répliqué, suivi à la trace. A titre d’exemple, un courrier électronique reste présent dans l’ordinateur de l’expéditeur, contrairement à l’envoi d’une lettre papier qui se transmet dans les airs (sacoche du facteur). Le courriel est une transmission sans dépossession, car la matière est visqueuse. Une lettre expédiée par voie postale est un point qui voyage dans l’espace, une « feuille volante ». Un courrier électronique est un trait tiré entre deux points, avec, au final, la même situation au point de départ et au point d’arrivée.

Ce principe de copie et recopie signifie qu'il est vain de chercher à supprimer un objet, ou un fait quelconque dès l'instant qu'il est avéré. Pour y parvenir, il faudrait détruire toutes les traces, les copies, les copies de copies, les copies de copies de copies... ce qui est impossible. On ne traverse pas l'Etherciel. Une fois qu'on y a mis un pied, il est inutile de chercher à s'en dépêtrer. L'Etherciel est un puits sans fond, qui garde tout et ne recrache rien. Les commandes de destruction proposées dans les menus des logiciels sont illusoires. Tout s'entasse, l'ancien comme le récent, indistinctement. Un jour ou l'autre, tout peut ressortir. Supprimer un exemplaire d'un objet d'étherciel est une action sans effet sur l'existence de cet objet. Ses qualités peuvent être jugées, mises en perspective, comparées avec celles d'un autre objet, mais évaluer la quantité, le stock d'un élément ne présente aucun intérêt. L'idée consistant à compter le nombre de fourchettes dans le tiroir de la cuisine, ou le nombre de pots de peinture qu'il faudra pour repeindre une pièce, n'a pas d'équivalent derrière l'écran. Disposer ou ne pas disposer d'un objet, telle est la question, la seule question. En avoir plusieurs exemplaires plutôt qu'un seul n'apporte rien, car la multiplication fait partie des lois de la matière. Les copies sont à l’habitant du nouveau monde ce que le froid est à l’esquimau, elles appartiennent au milieu. La masse retient tout, qu'on le veuille ou non, car elle a une mémoire incommensurable. Le monde hors-ligne empile les copies cahin-caha, le monde en ligne les superpose, telles des figures géométriques égales.

 

Un espace-temps recomposé


Ces deux lois naturelles (ou « spontanées ») s’appliquent à un espace-temps différent de celui dans lequel nous évoluons lors de nos déplacements dans l’atmosphère. Toute distance est abolie. Cette caractéristique était prévue au départ, les « moyens de communication » avaient pour but affiché de vaincre les distances, pour permettre aux individus de « communiquer » malgré l’éloignement. Ce que personne n’avait imaginé c’est que le temps allait occuper la place laissée vacante par l’espace. Les kilomètres sont morts, finis, oubliés, on ne compte plus que les temps de réponse. Le temps réel est la réponse vitale à un espace devenu irréel. Au moment de débarquer dans l'Etherciel, "Actualiser" est toujours la première chose à faire, avant de commencer quoi que ce soit, car venir se placer dans le nouveau monde signifie d'abord se situer dans la chronologie. Obsolescence est synonyme de dégénérescence. Etre en ligne c'est être en mouvement, tiré par le temps, happé par l'instant futur. Le suspense est permanent. Est-ce un hasard si le temps est souvent représenté par une ligne ? Cette même ligne qui est comme un symbole, une signature du nouveau monde ? Maintenant c'est déjà l'avenir, et vice-versa. Enfin, comme le temps, l’Etherciel ne s’arrête jamais. Même quand l'écran est éteint et que le téléphone est coupé, le mouvement continue, l'Etherciel vibre encore et toujours. Nulle part mais toujours présent.

 

Voilà ainsi brièvement énoncé le point de départ d'une analyse "physique" de la matière première numérique, et du nouveau monde qui est là maintenant comme un fait accompli.


Autre monde, autres lois

 

Un code de l'Etherciel ? Oui, naturellement. Mais d'abord, décrivons les conventions sur lesquelles tout repose, les traits communs à tous les produits, en un mot décrivons, caractérisons le nouveau monde. Nous connaissons le "comment", mais nous avons oublié de nous pencher sur le "quoi", nous savons comment tout cela fonctionne, mais nous ne savons pas ce que c'est. Un grand vide se présente, qu’il faut combler. Apprenons à lire les décrets de la matière ! Débarrassons-nous de nos préjugés liés à notre condition d’êtres enfermés dans un corps, et évoluant dans l’atmosphère ! Ce qui est évident sur Terre ne l'est pas dans l'Etherciel. Lui aussi comporte des lois naturelles, mais elles sont différentes de celles que nous avons l'habitude de suivre, et nous les connaissons mal. Ce n'est qu'ensuite que nous pourrons mettre en œuvre une politique de civilisation, imposer nos valeurs, appliquer nos principes parmi lesquels figure la protection des œuvres littéraires et artistiques. Les interminables débats auxquels donnent lieu toutes les tentatives d’appliquer la propriété intellectuelle (brevet et droit d’auteur) au nouveau monde le montrent : nous sommes sur le plan législatif devant une situation d’échec généralisé. Le droit de l'Etherciel doit être reconstruit dans ses fondations, en tenant compte de ses propriétés fondamentales : le mouvement et la copie, émission et réplication dans un lieu sans étendue, où le temps est la mesure de tout. Il faut repartir de zéro. Pour faire de bonnes lois, il ne suffit pas d'être un grand politique ou un fin juriste, il faut d'abord savoir regarder, comme Newton sous son pommier, et tirer les leçons de l’expérience. Le constat doit passer avant la condamnation. On ne vote pas pour ou contre la poussée d’Archimède. La vitesse de la lumière n’est ni légale ni illégale, elle « est ». D’abord comprendre la force des choses, puis, dans un second temps, canaliser cette force, l’orienter selon nos conceptions, nos idées, nos choix.


(fin de la deuxième partie)

 

Emmanuel Cauvin

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Ajout du 29 décembre 2011

Une lettre postale est un point qui voyage dans l'espace, elle effectue un parcours sur la surface de la Terre. Un courrier électronique quant à lui est un trait tiré entre deux points : le message émis reste présent dans l'ordinateur de l'expéditeur. Le courriel avance par réplication, l'émetteur n'est pas dépossédé de son message. Quel enseignement avons-nous à tirer de ce simple fait ?

http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/high-tech-medias/internet/221140632/quest-quun-courrier-electronique

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