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25 avril 2011 1 25 /04 /avril /2011 17:43

 

3/5 - Lois civiles : les règles qui gouvernent la preuve sont inadaptées et doivent être entièrement revues pour tenir compte des caractéristiques de la chose électronique 

 

Comment, par quels moyens, un citoyen peut-il établir l'exactitude de ce qu'il allègue, dès lors qu’il s’agit d’un objet électronique ? Prenons l’exemple de la façon dont est résolu le problème de la preuve, à travers l’article 1316-1 du code civil créé par la loi du 13 mars 2000 : L'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité. Arrêtons-nous sur le sujet de la phrase, « l’écrit sous forme électronique », et n’allons pas plus loin, ces quelques mots suffisent. La formule se réfère à un document constitué puis éventuellement transmis sous forme électronique, là où ce même document était traditionnellement créé à partir d’une feuille blanche ou d’un papier à en-tête. L'écrit sous forme électronique et l’écrit sur support papier se répondent comme deux formes du même objet. Il s’agit donc selon le législateur de la même chose, du même objet appelé "écrit" pouvant être logé sur deux supports différents.

Or ce postulat est faux. C’est ignorer les lois naturelles de l’étherciel que de poser le problème de cette façon. Il eût fallu partir de l’idée de transmission, donc réfléchir à une transmission supportant un écrit plutôt qu’à un écrit transmis de façon électronique. Où faut-il chercher l’origine des actes qui pourront être admis à titre de preuve ? Où situer la genèse des éléments ? Un écrit électronique est électronique avant d'être un écrit. L'enregistrement d'un document sur un support comme par exemple un disque dur n'est qu'une trace, un élément parmi d'autre d'une circulation. Le document ne s'inscrit pas sur un support mais sur un chemin entre deux ou une myriade de supports. L’étherciel est une matière en mouvement, ce qui est fixe l'est par contrainte. L'erreur des auteurs de la réforme de 2000 devient manifeste à l'énoncé de l'article 1316 : « La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ». La transmission n'est pas une modalité, mais bien plutôt l'objet même dont il est, ou devrait être question. Une fois de plus ce que le législateur décrit ici n'est pas la preuve littérale, c'est-à-dire la preuve écrite quel que soit le support, mais la preuve sur papier. Sur Terre, dans notre environnement habituel, le document est un bon point de repère. Ce document peut voyager, passer de main en main, il reste le même, la même chose détenue par Pierre puis par Paul. Mais derrière l’écran ce point de vue n’est plus du tout adapté. Un document transmis par Pierre à Paul à travers l'Etherciel et le même document expédié par Paul à un troisième correspondant sont deux choses différentes, deux événements fondateurs distincts. Le milieu n’est pas structuré de la même façon. Contrairement au scénario en vigueur sur Terre, l'acte de naissance du document n'est pas le document lui-même, mais la transmission qui l'a créé.

Le résultat de cette méprise est que la notion de temps est absente de la formule de l’article 1316-1, alors qu’elle est essentielle dans l’Etherciel pour toute question de preuve (quand ? pendant combien de temps ?). Le premier paramètre pour délimiter une transmission consiste à se demander quand elle a eu lieu, et combien de temps elle a duré. Sur Terre, la question de la preuve se place d'emblée dans l'espace. "Où est l'original ?" entend-on chaque fois qu'il s'agit de produire en justice un document papier comme une lettre ou un contrat. La question est de mettre la main sur l'original, et donc de savoir où il se trouve. En matière civile comme en matière criminelle, le lieu où l'élément de preuve a été découvert apportera des indices importants quant à son auteur. A l'inverse pour ce qui concerne un courriel, la première question est toujours "quand ?". Année-Mois-Jour-Heure-Minute-Seconde. Savoir où se trouve la pièce en cause n'a pas grand intérêt car elle a pu être dupliquée vingt-cinq fois à l'identique, de façon naturelle, non significative. Faute d’espace, les objets de l’Etherciel n’ont pas réellement de place. Il n'y a jamais grand-chose à tirer de l'emplacement où le courriel a été trouvé. Par contre le moment où l'émission a eu lieu est essentiel. Ce n'est qu'une fois celle-ci située dans le temps qu'on peut s'interroger sur son émetteur et sur son contenu, se demander pourquoi il a été trouvé là et pas ailleurs. L'authentification et l'intégrité, prévues à l'article 1316-1 du code civil, ne sont pas négligeables, mais pas vraiment déterminantes. Ces deux conditions sont à vérifier pour faire le lien entre deux moments, entre l'émission à l'origine du document, et le moment où l'on se place. Elles ne sont que secondaires. Le "Qui ?" et le "Quoi ?" sont à retracer à toutes les étapes de la transmission, ce qui suppose, condition première, que celle-ci ait été située dans le temps. D'abord donner date certaine à la pièce, le reste bien souvent en découlera naturellement. Ce qui est vrai pour la TV ("Quelle émission ?" A cette question la réponse sera du type "Vendredi dernier à 20h40") l'est dans tout l'Etherciel, dominé qu'il est par une grande horloge invisible. Attester un évènement dans ce monde suppose donc d'abord de déterminer quand il a eu lieu.

Après, ce qui reste à trouver est un numéro (IP, GSM, chaine TV...). La démarche consiste à identifier le registre et l'éplucher pour y trouver le numéro, ce qui ne surprendra personne, dans un monde dit "numérique". L’important est que l’Etherciel est gouverné par la seule variable t. Pourtant, la date n’est même pas mentionnée à l’article 1316-1 parmi les éléments dont la réunion permet de constituer une preuve.

Dix ans après le vote de cette loi, le résultat dans la pratique des entreprises est sans appel. Nous en sommes encore à multiplier les rencontres, séminaires et réflexions en tous genres pour tenter de décliner cette loi en pratique. L’objectif que le législateur de 2000 s’était fixé (« adapter le droit de la preuve aux technologies de l’information ») n’a pas été atteint. La sécurité juridique dont nous avons besoin dans toutes sortes de situations reste inatteignable. Voyons les choses en face : personne ne sait comment appliquer cette loi. La raison de cette débâcle ? Il est vain de spéculer en juriste sur un fait tant que ses conditions réelles d'existence n'ont pas été élucidées. Pure question médiologique : concrètement les règles qui président à la reconnaissance juridique d'un objet dans la graphosphère ne sauraient s'appliquer dans l'Etherciel, nulle problématique juridique là-dedans, juste une question de médium, une différence de logistique. D’un côté la loi de la pesanteur, de l’autre le haut débit : deux poids, deux mesures.

 

Propositions


A la place de l'article 1316, nous proposons : « Dans l’Etherciel, la preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une transmission de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, entre un émetteur et un ou plusieurs récepteur(s) opérant en mode local ou à distance ». Puis, sur le modèle de l'article 1316-1, voyons quelles conditions poser pour qu'une transmission ait valeur probante : « Une transmission dans l’Etherciel est admise en preuve sous réserve qu’elle puisse être datée, que son parcours puisse être retracé et que son contenu ait été conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité ». Qu'il s'agisse d'un document ou d'un fait quelconque, la recherche de la preuve doit par définition s'inscrire au coeur de l'évènement, à sa naissance. Sur Terre, cela passe par la recherche du support tangible, par exemple la feuille de papier qu'il faut impérativement retrouver, en cas de contestation. Dans l'Etherciel tout prend naissance dans une transmission, les supports ne sont que périphériques. Le débit peut être plus ou moins haut, mais toujours il demeure, le flux s'écoule, là est l'essentiel.

La volonté de hisser la force probante de l'écrit électronique au niveau de celle dont bénéficie l'écrit papier, ce qui était louable, a abouti à faire du premier une nouvelle forme du second. Les auteurs de cet article du Code civil ont commis une erreur non pas juridique mais matérielle, qui a consisté à vouloir à toute force traiter la preuve de la même façon dans le monde naturel et dans l'Etherciel. La réforme de 2000 porte la marque d'esprits encore imprégnés par les lois de la nature terrestre, pour qui le papier représente la référence, le but à atteindre. Cri de triomphe à l'article 1316-3 : « L'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier ». Victoire ! Objectif atteint ! Apothéose de la pensée juridique, le papier-bis a gagné ! Les dispositions du code civil qui régissent actuellement la preuve électronique ne sont pas caduques, mais hors sujet.

 

(fin de la troisième partie)

 

Emmanuel Cauvin

 

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