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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 11:11

L'idée de vendre de la musique est dépassée, à l'avenir il faudra vendre des droits sur des musiques, ces droits étant librement définis par les auteurs, avec plus ou moins de générosité, selon la conception de chacun. Ceci ne sera possible qu’à partir du moment où la loi aura placé ses balises aux emplacements adéquats, plaçant ainsi les auteurs aux points stratégiques.

Ces questions ne sont pas mineures, le problème doit être considéré dans toute son importance : la morale commence quand ce n'est plus la nature qui ordonne, mais l'homme lui-même.

 

5/5 - Où en sommes-nous aujourd’hui ? Que se passe-t-il sur le terrain ?


Faute d’avoir effectué le travail de naturaliste, de géologue et d’arpenteur qui lui incombait, le législateur s’est disqualifié. Qu’il s’agisse de droit d’auteur, de protection de la vie privée (4) ou de preuve des actes juridiques, ses formules résonnent dans le vide. Les lois votées au Parlement ne sont guère appliquées, car inapplicables. Droit « en vigueur » : s’agissant du nouveau monde, l’expression semble exagérément optimiste… Et pendant ce temps, le terrain a trouvé en lui-même sa propre régulation. Aujourd’hui, c’est la nature qui ordonne.

 

Car quand les lois d’origine politique ne parviennent pas à s’imposer, les lois naturelles règnent en maître. L’incapacité du législateur à prescrire des lois adaptées au milieu a pour conséquence, aujourd’hui, la domination sans partage des principes de fonctionnement inhérents à l’environnement. Entre le Code Napoléon et le code, le seul, anonyme, informe, gigantesque, omniprésent, le second l’emporte, haut la main. Ainsi en va-t-il des œuvres qualifiées d'œuvres de l'esprit par les vieux grimoires. Peut-on les copier librement sans égard pour leur auteur ? L'étherciel se dilate et circule à l'infini, c'est une propriété physique de la matière, devenue une loi de comportement. La consigne est donc de reproduire les œuvres sans discernement, comme le reste. Il faut suivre. Les habitants du nouveau monde suivent, sans tenir compte des lois d'origine politique – comment le pourraient-ils ? Mieux, ils adhèrent à la matière. La grande masse éruptive et collante imprègne les esprits et dicte ce qu'il faut faire. Téléchargés à 100% dans la télé-matière, les adhérents en épousent l'agitation bien ordonnée à la perfection. Bouger, copier, bouger, copier. Tout ce qui pourrait heurter la fluidité de la matière, sa propagation universelle, est rejeté comme une hérésie. La seule légalité est technique, est légal ce qui est faisable, et par là même tout ce qui est faisable est légal. La pensée de nos héros des nouvelles technologies est une pensée archaïque, la pensée d'êtres vivants et énergiques mais neutres par rapport à l'écosystème dans lequel ils vivent et se répandent. Aucun recul par rapport à la matière.

Nous avons précédemment dégagé deux qualités essentielles du nouvel élément. Toutes les deux ont acquis désormais force obligatoire. Un principe de reproduction généralisée ? Les adhérents ont adopté le principe pour eux-mêmes, avec enthousiasme. Copier/coller : cette manœuvre est devenue naturelle, presque un rituel d'appartenance qui marque l'entrée dans la grande tribu des hommes de l’Etherciel. Ceux-ci sont fiers d'effectuer des copier/coller car chaque copier/coller signifie qu'on a compris une loi collective et qu'on lui obéit. Le droit d’auteur, ignoré, quand il n’est pas conspué, a perdu la partie.

Mobilité ? Cette qualité physique est devenue un mot d'ordre général, au travail ou sur les affiches placardées dans les rues. Un-Deux-Trois Mobiles ! Mobiles ou Débiles ! L'Etherciel fait même sentir son influence sur notre vie de terriens, les pieds collés au sol. Quelle puissance ! Notre vie est une suite de projections de mots, de sons ou d’images en direction d'un public aussi large que possible. Tous nos efforts consistent à tenter de surnager dans le grand flux, ce qui suppose d’abord de suivre le mouvement. Connectés en permanence, emportés dans les émissions, nous courons à perdre haleine dans la grande boucle des programmes de télévision ou d’ordinateur. Le mouvement des électrons emporte tout avec lui, danse fébrile dans des corridors délicats. Sa puissance est telle que nous n’en avons même pas conscience. Nous ne comprenons pas en profondeur cette nouvelle force et sommes de ce fait bien incapables d’édicter des lois qui en gouverneraient l’usage.

 

Pourtant, qui, sur Terre, songerait à fonder une morale sur l'application des lois physiques de notre milieu ? Nous sommes des hommes, pas des cailloux ni des animaux de la forêt ! Derrière l'écran aussi, les lois physiques doivent être pensées et dépassées. Nous sommes en principe capables d'adopter des règles de conduite, soit individuelles, fonction de notre tempérament, de nos préférences, soit collectives, lorsque la loi décide de s'en mêler. Nous sommes en principe capables de nous interdire certains comportements, quand bien même les conditions physiques nous conduiraient naturellement à les adopter. Ces évidences doivent maintenant s’appliquer à notre « seconde vie », celle que nous passons derrière l’écran. Après le droit naturel, immédiatement dérivé de la nature des choses, place au droit positif ! Nous devons sortir de l'état de nature, sortir du mode "natif" dans lequel nous sommes encore. Merveille de fonctionnement, l’Etherciel est incapable de questionnement. S’extraire de temps à autre de la bande passante. S’arrêter. Ctrl/Alt/Del. Penser à l’air libre. Nous atteignons un rapport profond avec la seconde nature mais cette intimité avec la matière ne nous libère pas, elle nous conditionne.

 

Voilà où nous en sommes arrivés : d’un côté des pouvoirs publics maladroits, impuissants, de l’autre un public passif ou « interactif », c’est-à-dire activement obéissant, appliqué seulement à suivre les programmes, exécuter les instructions.

 

Regardons maintenant vers l’avenir. La solution pour bien appréhender le nouveau monde : ni rejet hautain, comme celui qu'affichent les légistes, ni adhésion aveugle comme on l'observe chez les autochtones, mais plutôt le comprendre, s'en rendre "maître et possesseur" comme disait Descartes et sur cette base, décider de ce que nous en faisons. Nous devons quitter notre condition de possédés, sans pour autant nier la part d'étherciel de notre environnement quotidien, juste apprendre à la lire, c'est-à-dire à distance, mais pas trop, à mi-chemin de la flatterie et de la crainte. S’interroger en profondeur. Examiner la matière même sur laquelle nous travaillons, indépendamment de ses applications. Comprendre ce qui se passe : la leçon vaut tous, légistes ignorants comme adhérents soumis. Nous avons eu recours à notre raison calculatrice pour comprendre et maîtriser notre environnement premier, fait d’air, d’eau, de terre, de feu, et de quelques autres éléments. A l’inverse, tout passera par les mots, dans cette grande machine mathématique qu’est l’Etherciel. La formulation des lois automatiques du milieu n'a pas pour but de les rendre juridiquement obligatoires, ce qui serait stupide, ni de les abroger, ce qui conduirait à la destruction du nouveau monde. Non, l'objectif est de comprendre la réalité du terrain, s'étonner, comparer, pour ensuite définir, en toute liberté, et en connaissance de cause, les règles du jeu. Ce qui est matériellement possible, ce qui est humainement souhaitable : faire une bonne loi consiste à résoudre une équation qui ne comporte pas un mais deux paramètres. D’abord comprendre la route, ensuite écrire le code.

 

Imprimer notre conception de la vie en commun sur le milieu ambiant, plutôt que laisser l'inverse se produire : le chemin sera long et difficile mais il est incontournable. Nous devons réapprendre à vouloir notre devenir.

 

FIN

 

(1)

Spinoza, Traité théologico-politique, GF Flammarion, Chap. IV, page 85.

 

(2)

Le Nouvel Observateur, 24 juillet 2009.

 

(3)

Comme le mot "terre" (ou « Terre »), le mot "étherciel" désigne à la fois une simple substance, grossière mais fertile, et l'Etherciel, "E" majuscule, une planète, une planète accueillante aux continents variés, un globe remuant avec une rapidité inconcevable.

 

(4)

Emmanuel Cauvin, Données personnelles : la métamorphose, www.mediologie.org, Tribune des internautes.


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