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17 septembre 2011 6 17 /09 /septembre /2011 16:24

Les mondes numériques, alias l'Etherciel, nous proposent une nouvelle vie, derrière les écrans, qui se déroule en alternance avec des épisodes sur Terre ("les deux pieds sur Terre").

Deux mondes:

> l'ancien, celui où nous sommes nés > Le ciel, le vent, les étoiles, les forêts, les villes.

> le nouveau, que nous avons créé de nos propres mains > Curseur et clics, émissions, enregistrements.

Nous sommes désormais face à deux univers : d’un côté notre monde naturel, qui existe depuis des milliards d'années, et de l’autre un monde artificiel, inventé à la fin du XXème siècle, mais qui prend de plus en plus de place dans notre réalité quotidienne. Examinons les conditions de vie dans ce nouvel environnement. Voyons comment les choses se passent pour l'individu téléchargé.


Dans cette seconde vie, un seul but, un seul impératif : passer à l'écran, [être], être présent sur les écrans des autres, faire en sorte que les autres affichent mes émissions, autrement dit, moi.

Chez les habitants de l'Etherciel, la taille ne se mesure pas en mètres ou en centimètres, mais en clics.

Le puissant est celui qui reçoit régulièrement un grand nombre de clics. On va vers lui, on le félicite. A l'inverse, s'il n'y a personne pour vous cliquer dessus, c'est comme si vous n'existiez pas. Avoir un public ou pas, telle est la question. La seconde vie que nous proposent les mondes numériques passe par la conquête d'un public. La bataille fait rage.

Une personne sur Terre a juste besoin d'un peu d'espace pour y placer son corps et exister. Pas besoin de se montrer pour vivre. Dans le monde de la terre et des pierres un individu pèse quelques dizaines de kilos, dans l'Etherciel il doit se contenter d'un reflet fugace. Il n'a pas une image comme on le dit d'un personnage public, il est une image, plus précisément une émission d'image, une image tracée au curseur puis projetée dans le flux. Tout seul devant son écran d'ordinateur l'individu n'est rien, ou tout juste un curseur, ce qui est proche de rien. Il lui faut donc créer une ou plusieurs représentation(s) de lui-même puis trouver des pages pour s'y inscrire, et plus il trouvera de pages qui seront autant de récepteurs, plus il assurera son existence. Qu'est-ce qu'un reflet sans miroir ?

Oui, les êtres nouveaux souffrent d'un complexe d'inexistence. Chaque clic reçu est un souffle de vie. Trouver des "fans", des suiveurs, des amis, des amis d'amis, et encore, et encore, et toujours plus : voilà l'ardente obligation, le combat de chaque jour.

Balloté dans un réduit infinitésimal, troublé par ces reflets qui lui parlent, harassé par le mouvement tout autour de lui et la nécessité de rester sur le fil à haute tension, l'homme transformé en octets n'a malgré tout pas d'autre choix que de partir à la conquête des écrans. Il lui faut coûte que coûte développer sa capacité de projection, trouver des écrans pour s'étaler. Cette nécessité vitale fait oublier le reste. Sur Terre il suffit de voir pour être vu, mais de l'autre côté c'est avec effort qu'on devient visible. Nous avons ceci en commun avec les animaux que notre premier souci est la conservation de nous même, en bonne santé si possible. La vie nous a été donnée et nous essayons de ne pas la perdre.

Derrière l'écran, la vie n'est pas donnée au départ, il ne suffit pas de la conserver, de la préserver, il faut la conquérir, et c'est un combat de chaque instant, qui nécessite le concours du plus grand nombre possible de personnes. L'existence précède la vie. Contrairement à ce qui se passe sur Terre la lumière ne vient pas à nous naturellement, il nous faut nous hisser jusqu'à elle. Alors, partout le même cri se fait entendre : clique sur moi ! Je t'en prie, je t'en supplie, clique sur moi !

"Actuellement sur vos écrans"

 

Actuellement sur vos écrans : c'est cela que je veux être, (le verbe être entre crochets, [être] pour désigner cette nouvelle forme de vie, entièrement électronique).

Embourbés dans la terre, nous lançons des appels en direction de l'extra-monde. Chacune de nos apparitions, chaque appel reçu nous tire un peu plus vers lui. C'est comme faire venir le soleil.

Il faut s'exprimer. Nous sommes soumis à une obligation d'expression, nous devons nous fabriquer une image, car c'est le seul moyen de gagner en "visibilité". Et la visibilité, c'est la vie. Celui qui ne dit rien ne peut pas se faire entendre (logique...), et, derrière l'écran, celui qui ne parvient pas à se faire entendre n'existe pas (alors que sur Terre il peut fort bien suivre le cours de sa vie, peinard, sans avoir particulièrement besoin de se faire remarquer). Le décompte de nos "hits", c'est-à-dire la mesure de notre audience, est une affaire sérieuse, il n'y a rien de plus sérieux.


Inonder les écrans : tel est le but de toute vie.

 

Questions maintenant : quelles sont les conséquences de cette équation vitale ? Comment la vie en société s'organise-t-elle à partir de cette recherche universelle d'un public ?  

 

Emmanuel Cauvin, le 17 septembre 2011

(document modifié le 20 septembre)

(merci pour vos clics, là, juste là à droite, sur les titres des articles)


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commentaires

I
<br /> Je suis tout à fait d'accord avec vous, Emmanuel. Cela ne veut plus dire grand chose.<br /> Et voici un article rédigé par un jeune journaliste, Vincent Glad, qui vous donne raison concernant une part non négligeable d'Etherciel, à savoir, Internet.<br /> http://culturevisuelle.org/lesinternets/archives/1287<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Bonsoir IPmule,<br /> <br /> je ne ferai évidemment aucun commentaire sur votre situation, mais plutôt<br /> sur votre idée d'une identité "virtuelle".<br /> La seconde vie, apparemment très intense, que vous menez n'a rien de "virtuel".<br /> <br /> "Virtuel" ? Quelle blague... Virtuel appartient au domaine du rêve, "virtuel" désigne ce qui est seulement en puissance, alors que l'Etherciel est une réalité, une réalité bien présente, et même de<br /> plus en plus ancrée dans nos existences. "Nos" existences, car nous en avons désormais deux, et la seconde est aussi réelle que la première.<br /> <br /> Qu'en pensez-vous, IPmule ?<br /> <br /> <br />
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I
<br /> Bonjour,<br /> <br /> Je suis un jeune homme de 17 ans, dont le corps est paralysé à 80%. Malgré cette infirmité physique, je m'identifie en tant que Orc Magicien de 87ème niveau dans World of Warcraft, craint et<br /> respecté par tous. Je participe à des discussions hautement intellectuelles avec des docteurs en philosophie en lançant dans l'abstrait de leur méditation des citations quelques peu modifiées des<br /> plus grands penseurs de l'histoire. Et côté filles, tout va à merveille également. Vous l'avez compris: je suis prêt à rouler avec ma chaise sur les pieds de toute personne menaçant l'intégrité de<br /> mon identité virtuelle en la désanonymisant. La société en dehors de mon écran n'a rien d'excitant à m'offrir.<br /> <br /> <br />
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