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16 novembre 2014 7 16 /11 /novembre /2014 13:15

Google doit appliquer réellement la décision de la Cour européenne plutôt que s'ériger en tribunal du Web


Résumé 

 

La décision de la Cour de justice européenne en faveur du droit au déréférencement n’est appliquée par Google que sur les versions « .fr », « .de » etc. du moteur, pas sur les recherches effectuées à partir de google.com. Autant dire que cette décision n’est pas appliquée, puisque les résultats contestés sont toujours présentés en réponse à une requête faite en Europe mais à partir de google.com.

Les droits de la personne victime d'un harcèlement ou d'une information obsolète mais toujours en ligne ne sont pas assurés.

La solution va consister à géolocaliser le client par son numéro IP, afin de déterminer s’il se trouve, ou non, dans la juridiction de la Cour. Le numéro IP est déjà collecté par Google, qui dispose donc des ressources lui permettant de s’exécuter, c'est-à-dire de faire ce que la justice lui ordonne de faire.

Les décisions des tribunaux s’appliquent à la régie publicitaire Google Inc. comme à n’importe quel justiciable. Le "Comité consultatif" mis sur pied par Google pour trancher les cas difficiles mettant en jeu la liberté d'information est une mauvaise farce, une manœuvre de diversion. Google doit exécuter la décision de la Cour de justice ! Google n'a aucune légitimité pour venir s'ériger en tribunal du Web !

 

La décision sur le droit au déréférencement

 

La Cour de justice européenne a rendu récemment un arrêt retentissant consacrant un « droit au déréférencement ». Cet arrêt vise les moteurs de recherche, et en premier lieu, celui mis en œuvre par la société Google Inc. afin de collecter les données de ses clients et les orienter vers les publicités payées par les annonceurs. Les personnes mécontentes de certains résultats les concernant peuvent demander la suppression des liens vers ces contenus, de telle sorte que ceux-ci ne seront plus affichés en résultat d’une requête, même s’ils contiennent les mots clé demandés par le client (le moteur mis en œuvre par la société Google Inc. affiche désormais cet avertissement : Certains résultats peuvent avoir été supprimés conformément à la loi européenne sur la protection des données).

Les résultats affichés par les moteurs dessinent notre portrait numérique, la figure de notre alter ego dans l'océan des octets. Quand ce portrait comporte des zones d’ombre, des épisodes peu glorieux, il est assez naturel de chercher à les effacer. L'index mis à jour par Google est comme l'album d'une part importante de l'humanité.

La réaction du géant Google à cette décision de justice soulève des questions qui dépassent le cadre de l’affaire, et qui touchent aux fondements antiques de toute législation : la Cité, et son territoire. Nous sommes devant un enjeu démocratique.

 

Le problème

 

Il semble que les liens supprimés… ne sont supprimés que pour les recherches faites à partir de google.de, google.fr etc. mais pas google.com ni sur des versions non-européennes comme google.tn (Tunisie). On imagine l’argument, basé sur l’idée selon laquelle la décision européenne a vocation à s’appliquer uniquement en Europe, et pas ailleurs. Une recherche faite à partir de google.com fera toujours apparaître les résultats désormais invisibles à partir des versions européennes. Le déréférencement est donc très relatif, puisqu’il n’opère pas dans tous les scénarios d’utilisation du moteur de recherche.

Or, Google.com est accessible en Europe comme partout ailleurs (il en va de même d’ailleurs pour le concurrent Qwant.com). Google.fr n’est français que par l’extension, pas par sa couverture géographique. Google.fr n’est pas en France, comme la tour Eiffel, la ville de Mers-les-Bains (département de la Somme) sont « en France ». Google.fr est une extension d’un dispositif global, et qui le reste.

La décision de la Cour est donc privée d’effet, du fait de cette application biaisée, qui se fonde sur une extension technique qui n’a de géographique que le nom. Les liens contestés restent accessibles, et cela depuis n’importe quel point sur la surface de la Terre, y compris à partir de la juridiction de la Cour de Luxembourg. Ne pas toucher à google.com, sorte de maison-mère globale (La Matrice !), revient à ne rien changer. Le nom de domaine (préfixe www, Nom, Extension) ne désigne pas un territoire géographique. Les domaines de l'Internet ne sont pas inscrits dans le sol (Voir ici les missions de l'AFNIC).

Remontons un peu plus haut dans l'observation de ce nouveau terrain, de ce nouveau lieu de vie. La chose électronique ignore l'espace, c'est une propriété naturelle de l'élément, un principe de fonctionnement de cet univers. Les kilomètres sont morts, finis, oubliés. Un objet n'est jamais vraiment à côté, ni vraiment lointain. Ce lieu est sans étendue. Le temps qui passe règne en maître sur la ligne, la ligne en laquelle nous sommes, les déplacements ne se mesurent pas en distances mais en temps de réponse (à lire : Lois naturelles et lois civiles dans les mondes numériques).

Les domaines qui découpent cette nouvelle planète suivent cette logique hors-sol. Ils ne sont donc pas pertinents pour délimiter l'application d'une décision sur telle ou telle portion de la surface terrestre.

Parenthèse récréative. En matière de fiscalité, Google a longtemps prétendu n’avoir aucune activité réelle en France dans la mesure où tout se passe en réalité aux Etats-Unis, ce qui n’est pas nécessairement faux. Quoi qu’il en soit il est amusant de voir maintenant cette même société concentrer ses actions sur une version « .fr » qui, s’agissant des impôts et taxes dûs en France, n’avait pas d’existence réelle... Dis moi quelle est ta question et je te dirais ce que je suis. Si c'est pour les impôts je ne suis pas français, non, pas du tout, mais alors vraiment pas, mais si tu veux que je supprime des liens, alors oui je suis français, la preuve, google.fr. Google.fr représente mon activité pour la France, le reste n'est pas français et n'a rien à voir avec la France. Une entreprise privée défend ses intérêts, et cela en s'adaptant aux problèmes divers et variés qu'elle a à affronter. Personne ne pourra lui en faire reproche. Par contre, une fois un verdict rendu par une juridiction, et cela de manière définitive, elle se doit de le respecter.

Aujourd'hui le quidam qui souhaite une information complète, non filtrée, sur un individu donné peut toujours l’obtenir, sans difficulté particulière. Les droits de la personne victime d'un harcèlement ou d'une information obsolète mais toujours en ligne ne sont pas assurés.

La règle du jeu doit-elle être fixée par les lois internationales ? ou par Google ? Comment faire pour appliquer nos lois à une Cité dont les contours ne sont pas inscrits dans le sol ? En allant chercher les individus là où ils sont.

 

Que faire ?

 

La bonne approche consiste à appliquer cette décision à toutes les requêtes lancées à partir de la juridiction de la Cour européenne, qu’elles passent par google.com ou google.fr. Après tout, Google est une régie publicitaire, donc capable de faire ce type de différenciation.

L’idée sera donc de géolocaliser les requêtes afin de déterminer si elles relèvent de la compétence territoriale de la Cour européenne. Dans l’affirmative, le déréférencement s’applique, les résultats doivent être filtrés. Dans la négative, pour un utilisateur situé en dehors de l’Europe, il ne s’applique pas, tous les résultats sont affichés. Le filtrage ne doit pas intervenir selon le moteur sollicité mais en fonction de la localisation de l’émetteur de la requête. Les règles européennes s’appliquent sur le territoire européen. Tous les résidents présents sur ce territoire sont assujettis aux règles qui y sont applicables, quelle que soit leur nationalité. La géolocalisation n’existait pas à l’époque du Code civil mais c’est bien ce principe qui a été retenu, et qui reste en vigueur aujourd’hui.

L'article 3 du Code civil prévoit que "les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent le territoire" (Article 113-2 du Code pénal : La loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République).

 

Comment ?

 

Chaque ordinateur connecté à Internet est identifié par un numéro, appelé « adresse IP », (Internet protocol). Étant donné que ces numéros sont généralement attribués par groupe de pays, une adresse IP permet souvent d’identifier le pays dans lequel se trouve l’ordinateur connecté à Internet (dixit Google, Dernière modification le 31 mars 2014). Le numéro IP du client est bel et bien collecté à chaque recherche : s’il n’identifie pas nécessairement une personne, il pointe un ordinateur au moment de la connexion (c’est sa finalité). Google sait donc où vous vous trouvez ! Un ordinateur, quincaillerie informatique, n’est pas dans un « nuage » de passage dans l’Ether numérique (l’Etherciel), il ne surfe pas sur des serveurs éparpillés aux quatre coins du monde, il est bien situé quelque part sur la surface du globe.

L'ordinateur est le point d'ancrage à retenir pour une application effective et conforme de la décision sur le "droit à l'oubli".

Notons au passage que la question, souvent débattue, de l’application de la loi sur la protection des données personnelles au numéro IP ne se pose pas. La question ici est de savoir où se trouve l’auteur de la requête. Peu importe qui il est. La seule chose importante est de savoir il se trouve. Nul besoin d’ailleurs d’un grand degré de précision à ce sujet. Paris ou Arcueil, Lyon ou St Etienne : aucune importance, le droit au déréférencement s’applique. La géolocalisation du client peut se contenter d’une région et n’a pas besoin de ses coordonnées GPS ! Aucun "flicage" n'est nécessaire.

Google fait actuellement une application de la décision de la Cour de Luxembourg en fonction de critères factices, dont elle a la maîtrise, ce qui revient à la contourner. En réalité google.com est aussi européen que google.fr. L’extension à droite du point ne change rien. Poudre aux yeux que tout cela ! Google Inc. affiche un grand respect pour la décision de la Cour européenne tout en faisant en sorte de ne pas l’appliquer.

Google a mis en place un Comité consultatif chargé d'éclairer les demandes de retrait les plus épineuses, mettant en jeu la liberté d'expression. Il est facile d'imaginer en effet que certaines demandes ne manquent pas de soulever de redoutables questions, par exemple quand elles émanent de responsables publics désireux d'effacer certains mauvais souvenirs de nos mémoires. Le droit à la vie privée doit être mis en balance avec le droit à l'information. Vaste problème ! Mais ces questions relèvent de toute évidence de l'autorité judiciaire, pas de Google Inc. La jurisprudence française est abondante dans ce domaine. Le flonflon organisé autour du Comité Google est une manoeuvre de diversion qui dissimule le fait que la décision de la Cour de justice est privée d’effet.

Nous avons là une tentative de détournement de l'autorité judiciaire au profit d'une entreprise privée, tentative qui prend appui sur… une décision judiciaire. Suprême habileté ! Le résultat des consultations du comité Google-Téodule n'a pas d'importance, il suffit de se plonger dans les annales de nos tribunaux pour trouver les réponses à ces questions. Ce comité consultatif est chargé d'appliquer une décision qui de toute façon n'est pas appliquée. L'important pour Google est d'amuser la galerie avec des débats par essence infinis, pendant que le business continue, sans changement.

Condamné sur le papier, dans cette affaire, Google sait néanmoins mieux que personne que le buzz, c'est l'événement. Donc créer le buzz, c'est créer l'événement. Alors on fait le buzz ("cliquetis" en français) sur de prétendues difficultés d'application, alors même que la condamnation n'est en réalité par appliquée, ou de manière marginale. Un rideau de fumée !

 

Pourquoi ?

 

Sur le fond de la décision rendue le 14 mai 2014, chacun est libre d’avoir son avis. Est-ce une bonne décision ? Le débat est permis (Voir ici une contribution au débat), car nous sommes dans une démocratie. Mais la démocratie, ce n’est pas seulement la liberté d’opinion. Dans une démocratie, une décision de justice doit être appliquée (une fois les voies de recours épuisées), que cela nous plaise ou non.

Personne n’est au-dessus des lois. Personne n’est au-dessus des lois telles qu’interprétées par les tribunaux. On appelle cela « l’autorité de la chose jugée ». Imaginons qu’un jour la cour suprême américaine rende un arrêt similaire à la décision européenne (improbable, mais passons). Google trouvera toujours un pays où ce principe n’est pas applicable, et pourra ainsi maintenir l’intégrité des résultats sortant de google.com, au mépris des décisions de justice rendues ici ou là.

L’Etherciel doit-il devenir un espace souverain (cette revendication d'indépendance n'est pas nouvelle) ? Une électrocratie soumise aux Maîtres du code ? Un territoire extra-terrestre ne connaissant que la volonté des Grands de ce monde-là et ignorant les lois des hommes ?

 

Non.

 

L'intérêt particulier de Google ne se confond pas avec l'intérêt général.

 

Google est une régie publicitaire et n'a donc aucune légitimité pour s'ériger en tribunal du Web !

 

Google doit respecter, dans les faits, et pas seulement dans les discours, la décision de la Cour de justice !

 

 

Emmanuel Cauvin

Blogueur Mondain & Homme politique

www.etherciel.fr

Le 16 novembre 2014

 

Rappel

Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution.

(Article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789)

 

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